Zuòwàng: Retour à l'Origine.
- Lionel Silberman

- Mar 26
- 6 min read
Updated: Jul 29
Ce texte ici écrit témoigne de l'exploration d'un pratiquant et de son étude quotidienne: sa relativité est ainsi aussi factuelle que sa réalité.
Zuòwàng 坐忘 est un principe philosophique et une forme de méditation issu du taoïsme. Il illustre une méthode, une discipline et un état d'esprit . Son concept résonne avec la représentation chinoise du vide (xūwú 虚无) qui considère cet aspect naturel de notre monde comme:
un phénomène potentiel: sa nature évolutive participe constamment à la diversité des formes.
Une phénomène relatif: il n'est pas fixe, il est en relation constante avec la matière et possède une dynamique, une capacité de mutation.
Une phénomène essentiel: il comporte un caractère originel, il se présente comme une source à l'existence des événements.
Zuowang intègre dans sa pratique la notion de "retrait" et "d'absence", pour trouver une forme de vide intérieur.
Il se compose dans l'écriture de deux logogrammes:
Traduction
Le premier logogramme implique la Terre, le Sol et deux êtres humains. Parmi les illustrations, se dégage déjà l'acte physique de se mettre au sol, l'acte contextuel de se reposer mais aussi l'acte symbolique et moral de la mise à terre, en d'autres termes d'une forme d'humilité.
Le second logogramme implique "Xīn" 心, notion ardue à traduire car sa traduction va au devant de nombreuses difficultés d'ordre culturelles voire expérimentales. Je le propose ici comme "âme-esprit" pour relier entre eux les sens de l'évolution, du dynamisme et de la subtilité. Xīn c'est l'âme dynamique, mystérieuse composante de l'humain. Cette notion se relie à celle de "se retrancher", de "refluer", "d'entrer à l'intérieur".
Interprétations & Témoignage
Zuòwàng semble parler à la fois d'un repos, d'une forme d'humilité et d'un état où l'âme et l'esprit s'intériorisent, pour se retrancher d'événements en superficie ou extérieurs. Le pratiquant voit s'atténuer une position depuis les éléments très manifestes de sa vie pour côtoyer des éléments plus intérieurs.
Le repos consiste à se rapprocher du sol, de la Terre. La Terre possède une symbolique certaine de neutralité. Un espace autant simple, humble qu'il est aussi fondamental. Le pratiquant par Zuòwàng se met à terre, il s'assoit ou s'allonge pour "oublier" ou plutôt se "retrancher". Se retrancher de quoi? Peut être simplement de tout ce qui l'entrave au moment même où il se met au sol: contextes, émotions, souvenirs, voire même sensations ou douleurs. L'acte de Zuòwàng consiste peut être à révéler un espace, à retrouver un calme, il agit comme un recul vis à vis d'une lourdeur, d'un excès dans l'être, le corps, l'âme. Le pratiquant opère un forme d'arrêt dans son continuum, une pause qui vis à vis du quotidien fait office de différentiel. L'être n'en rajoute plus, au contraire il diminue vers un essentiel.
Qui s'instruit du Dao s'amenuise jour après jour, Il s'amenuise, s'amenuise jusqu'à ne plus rien "faire". Qui ne "fait" rien atteint son authentique potentiel. - Dàodéjīng 道德經 ; Livre de la Vertu ,48
La traduction de wàng par "oubli" occasionne une difficulté culturelle vis à vis du terme. Oublier peut facilement nous emmèner à considérer que le pratiquant s'occulte des événements qui le concernent et donc que la pratique de cette méditation confère à une forme d'irresponsabilité.
Bien au contraire: se retrancher des événements n'est pas destiné à les fuir, mais à la compréhension globale de ce qui nous fonde comme de ce à quoi l'on participe.
L'oubli ici n'est pas anéantir ou ignorer , tout autant que la notion de vide n'est pas un Néant selon la physique ancestrale chinoise: le vide est en relation constante et relative avec la matière et donc par résonance, l'oubli n'est pas une fuite mais la neutralisation certaine d'une situation conflictuelle pour opérer un chemin vers sa solution.
Le vide est la demeure du Dao ; la simplicité tranquille est sa substance. - Huáinánzi 淮南子 – Chapitre 2, "De la Nature Véritable"
Cette subtilité culturelle est vécue par l'expérience: depuis le retrait des événements extérieurs surgit une définition renouvelée de ce qui nous constitue, et un monde global se distingue plus clairement, se ressent plus fortement, venant non pas amputer ou priver notre existence que plutôt l'enrichir de dimensions nouvelles. "L'oubli" permet alors logiquement de côtoyer l'oublié, le mal connu voire l'inconnu.

Humble Puissance
L'humilité rime par le son comme par le sens avec l'humanité et Zuò, c'est se mettre au sol, s'arrêter. Une pause qui crée un changement dans notre chemin. Quand on y pense, ce n'est pas un acte facile à faire que de s'asseoir en cours de route: on exprime par là ce qui est relatif en nous, inconstant et limité en terme de possible. L'humain est entre ciel et terre, selon la cosmologie mais aussi la philosophie chinoise, il n'est de prime abord ni illimité comme le ciel, ni aussi dense que la terre. Entre ces deux puissances, il est une voie médiane, un creuset transitoire.
L'acceptation de cet aspect transitoire, et de sa relativité de puissance est une des définitions de l'humilité: savoir ce que l'on peut faire et ne pas faire en l'état. L'acte du retour au sol, symboliquement mais aussi psychiquement représente aussi cela. C'est une belle manière de se représenter quelque part la Mesure, l'acte intérieur de Rationalité"
Processus de Liberté
Le retranchement de Wàng est paradoxalement un rapprochement: l'individu effectivement s'éloigne de l'extérieur: il peut alors relativiser "l'excès de monde" occasionné par "l'excès de vivre" propre à un quotidien suractif et qui peut être vécu comme une violence. Un excès qui éloigne de soi, qui peut peiner à nous proposer une définition fidèle de nous même, plutôt une exacerbation forte de nos rôles et fonctions, une sorte de "fièvre".
Aimer trop la vie est de mauvaise augure, L'Esprit violente le souffle-énergie à trop vouloir guider. - Dàodéjīng 道德經, Livre de la Vertu, 55
On se retranche alors peut-être pour se ressentir, et finalement identifier "un autre aspect de soi" depuis un silence: c'est ce que peut signifier les deux être humains, côte à côte dans le terme Zuò : s'opère un dialogue entre une part humaine extérieure en vis à vis d'une part humaine intérieure, les deux ensembles reprennent contact pour moins se dissocier. S'opère une fusion, une forme d'unité qui provient à partir du moment ou une part cesse de monopoliser l'autre.
Zuowang apparait alors comme un moyen de trouver une forme d'équilibre proposant la liberté relative: pendant quelques instants au moins ne pas manquer de soi comme ne pas se subir, au contraire s'explorer pleinement, sans la contrainte forte du partisan, sans aliénation.
Retour à la Substance Essentielle
"Wàng", c'est enfin des notions plus profondes, plus immenses que l'individuel. Par la notion "d'entrer, d'aller à l'intérieur", on contacte dans nos profondeurs les aspects les plus essentiels et originels de soi et au delà d'une définition uniquement personnelle, les aspects essentiels de la vie elle-même.
Se détacher des formes et se défaire de son savoir, pour s'unir au Grand Tout – voilà ce qu'on appelle Zuòwàng. - Zhuāngzǐ 莊子; Chap 6 "Le Modèle Suprême" 大宗師
L'humain vivant fait partie de son environnement, il interagit dans un Tout. Son corps peut être comparé à un flux en évolution constante, mais aussi à un système mystérieux dont les tenants et les aboutissants s'expliquent relativement (qui sait totalement ce que signifie vivre?).

S'intérioriser c'est souvent s'éloigner d'une perception connue et référencée de la vie, pour retrouver un contexte plus unifié et originel. C'est sortir des chemins habituels, opérer un rebours vers un point d'origine silencieux, simple, non-verbal.
Ce qui n'a pas de nom est Origine du Ciel et de la Terre. - Dàodéjīng 道德經, Livre de la Voie, 1
Cette expérience fait écho avec les moments premiers de notre vie humaine (premières années de la vie) qui sont des instants d'existence éloignés des noms, des déterminations, des sentiments d'appartenance et peut être donc des limitations. Période où vivre consiste à une expérience globale, immédiate, vaste et libre, proposant une perception différente du monde. Cette expérience occasionne ici une autre prise de conscience: il existe une origine à la vie personnelle, une "substance" différente de l'identité, des noms et des souvenirs ponctuels. La méditation permet de se rapprocher de ce "Sans-Nom", de ressentir au delà de l'identité et des identifications, le caractère peut être sans limite de ce Mystère dont l'individualité est une part.
Face à la diversité constante des êtres, je contemple leur retour. La Création, en un incessant carrousel, revient toujours à sa Racine. Le retour à la Racine procure la quiétude, la quiétude fait retour à la Nature Innée, le retour à la nature innée obéit à une Norme Eternelle. - Dàodéjīng 道德經 ; Livre de la Voie, 16
Il y aurait beaucoup d'autres aspects de Zuòwàng à aborder, plus subtils (pourrait-on dire "spirituel"), plus profonds, plus contextuels à une "maîtrise" et une maturité. Effectivement le terme est bien plus riche de détails qu'il n'y paraît, il n'a pas fini de révéler sa richesse, nous le verrons probablement plus tard. J'ai voulu commencer par parler de Zuòwàng dans ses termes car je trouve qu'ils permettent une représentation quotidienne et finalement naturelle de sa pratique, une vision spontanée simple, humble et douce d'une expérience de méditation, expérience accessible pour celles et ceux qui veulent la vivre. Cheminement comportant de nombreux bienfaits.
Aborder le principe de Vide par les modèles énergétiques chinois
Si la pratique des Arts internes chinois vous inspire








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