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Une Lecture, Un Entretien: "Médecine chinoise & Cuisine Française"

Je ne connais pas Michel-Philippe Rastoul… et en même temps, je le connais déjà un peu. Comme beaucoup d’étudiants, de praticiens et inspirés par la médecine chinoise, j’ai eu l’occasion de lire et de profiter de ses interventions bienveillantes, teintées d’humour et toujours instructives, au sein du groupe Facebook qu’il a fondé : « Diététique & Pharmacopée chinoises ».

Ce qui m’a assez rapidement frappé chez lui, c’est son ouverture d’esprit et la tolérance qu’il insuffle dans ses choix d’écriture comme dans la dynamique du groupe. Cet espace, devenu une petite agora, réunit une grande diversité de profils – étudiants, curieux, praticiens confirmés, figures reconnues comme personnalités plus discrètes – et parvient malgré tout à rester harmonieux. Cette qualité rare de lien crée une atmosphère respectueuse et stimulante, qui témoigne d’une présence particulière de xīn (l’âme-esprit)(1).

C’est elle qui m’a donné envie de mieux découvrir son travail. Car au-delà de cette dimension fédératrice, Michel-Philippe est avant tout un praticien solide, passionné de diététique chinoise et soucieux d’en proposer une application simple, pratique et évolutive. Ses interventions révèlent une expérience nourrie, une curiosité vive, et l’intention de transmettre l’esprit manifeste du Dào en thérapeutique, un esprit fait entre autres de Relativité et d’une forme de “bon-sens naturel” indexé sur l’écoute et la connaissance de soi. C’est dans cet esprit d’intérêt que j’ai choisi de lire son livre Médecine chinoise et cuisine française. Cette lecture croise mon manque de compétence: la diététique n’étant pas mon domaine de prédilection, le livre de Michel Philippe m’a bien inspiré. Plutôt que de me limiter à une analyse extérieure, j’ai voulu que cet article devienne aussi l’occasion d’un échange: vous trouverez donc, au fil des pages qui suivent, non seulement mon regard de lecteur, mais également quelques réponses directes de l’auteur, invité à présenter comme à préciser certains points. J’en profite ici pour le remercier de s’être très gentiment prêté à ce jeu de questions/réponses.



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Présentation de l’auteur & ouvrage

Le Livre Médecine Chinoise & Cuisine Française propose un très court passage biographique de l’auteur: j’y apprends que le début de son voyage en médecine chinoise commence au Honduras puis se déplace au Mexique, croise le Canada, la Chine et la France… Cela m’a donné envie de comprendre ce parcours.


Michel-Philippe, pourriez-vous nous présenter un peu votre parcours ? Quelles expériences vous ont amené à pratiquer la médecine chinoise et étudier sa diététique ? "Bonjour à tous ! En réalité, je suis comme Obélix, je suis tombé dans la marmite de la médecine chinoise quand j’étais petit ! 
Je vivais au Honduras, en Amérique Centrale, dans les années 70, où il y avait des chinois qui avaient fui la Chine de Mao. Ma mère et mon frère ayant des soucis de santé compliqués, on nous a dirigé vers mon premier professeur, chez lequel j’allais tous les jours dès la sortie de l’école. 
À partir de mes 14 ans, j’ai appris oralement et par l’exemple pratique, à la chinoise, la philosophie et les classiques, les « massages » chinois, l’acupuncture, un peu de diététique, mais peu de pharmacopée, car on n’avait pas trop de plantes chinoises à l’époque ! J’ai pris conscience très tôt des différences entre les cuisines d’Amérique latine, française et chinoises, et j’ai essayé de comprendre et ressentir les points communs…
J’ai continué au Mexique, avec un maître français, puis Lyon avec un élève du Docteur Nogier (celui qui a créé l’auriculothérapie), puis à Pékin et à Canton, puis à Montréal, avec la passion jamais démentie pour cette médecine chinoise et la diététique! Et cela continue encore et encore!"


Michel-Philippe : Bienveillance & Ouverture d'Esprit
Michel-Philippe : Bienveillance & Ouverture d'Esprit

L’originalité de la démarche


L’ouvrage de Michel-Philippe Rastoul se singularise par un ancrage dans une pratique réelle et vivante. On n’y trouve pas de discours figé ni de compilation abstraite, mais une écriture qui émane d’une expérience concrète et synthétique : celle d’un praticien confronté chaque jour à la diversité des personnes et de leurs contextes, et qui en retire combien il est impossible de réduire la santé à une simple liste de recettes toutes faites.


Dans ce livre, conseils et avis soutiennent et favorisent la créativité

La plupart des chapitres (organisés en thèmes selon la mise en pratique de préceptes traditionnels) cherchent moins à imposer un cadre qu’à accompagner le lecteur vers des prises de conscience simples et nuancées. Loin des programmes rigides, l’auteur propose des jalons, des orientations, et un dialogue ouvert. Bien évidemment, il donne des exemples clairs d’ingrédients, de combinaisons ou de modes de préparation (notamment aux chapitres 5 et 6), mais toujours dans une démarche participative et fluide, centrée sur la compréhension de l’humain et de ses besoins.

À cette approche déjà originale s’ajoute le thème même du livre : l’ouverture culturelle. Là où d’autres ouvrages restent arrimés au répertoire extrême-oriental, Médecine chinoise et cuisine française s’essaie avec succès à un dialogue fécond entre les principes énergétiques chinois et l’univers culinaire familier de notre culture. Le lecteur retrouve des repères proches de son quotidien, tout en découvrant comment ces mêmes aliments s’inscrivent dans une logique énergétique plus vaste, de nature holiste(2).



Diversité dans l'Unité
Diversité dans l'Unité


Pour comprendre ce qui a motivé cette rencontre entre deux mondes – la sagesse de la médecine chinoise et la tradition gastronomique française – je lui ai demandé s'il était possible de revenir un peu sur la genèse du livre.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire Médecine chinoise et cuisine française ? Ce mariage entre Extrême-Orient et Occident vous a-t-il confronté à certaines nuances irréductibles ou certaines difficultés ?
"Ce sont les patients qui m’ont inspiré, et je dirais même poussé, à faire ce livre ! Et aussi pour moi, pour rassembler mes connaissances, faire une synthèse dans mes pensées…

Il y avait plusieurs difficultés : 
  • Faire un livre en français « normal », sans trop de vocabulaire chinois, pour les patients et les personnes qui s’intéressent à ces connaissances millénaires… 
  • Un livre adapté aux aliments familiers et aux plantes disponibles en France ; 
  • Et troisièmement, essayer d’expliquer les règles de la diététique chinoise sans heurter les courants occidentaux parfois trop dogmatiques…
  • J’ai dû abandonner l’idée d’aliments trop « chinois », ou de recettes culturellement trop éloignées de la vision culinaire française…"

Une philosophie de la mesure & de l’autonomie


L’un des fils conducteurs du livre est sans doute la recherche de mesure, ainsi que la mise en lumière d’un bon sens naturel, instinctif de l’humain. Là où de nombreux discours nutritionnels tombent dans des propositions un peu désincarnées — soit en prescriptions trop rigides, soit en promesses idéalisées — Michel-Philippe propose une voie plus nuancée: ni ascèse, ni laxisme, mais un équilibre lucide entre bonheur de se nourrir et santé, tradition et quotidien moderne.

J’insiste sur la notion de bonheur, car à la lecture du livre on découvre combien l’alimentation est un vecteur de santé non seulement physique, mais aussi psycho mentale. L’équilibre qu’un individu peut trouver à travers la diététique résonne avec l’équilibre intérieur : non pas un état fondé sur la rétention ou la restriction alimentaire, mais une manière de permettre à la vie d’évoluer librement. Cette mesure s’accompagne d’un plaidoyer pour l’autonomie.

Le lecteur n’est pas invité à suivre un régime uniforme, mais à redevenir acteur de son alimentation et de sa santé, par une écoute progressive et adaptative de ses propres besoins.


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La place accordée aux sens est remarquable : goût, odorat, ressenti corporel après le repas deviennent autant d’outils pour ajuster sa pratique, saison après saison, année après année. J’ai particulièrement apprécié cette position car, en tant que praticien mais surtout en tant qu’être humain, je mesure les difficultés du quotidien face aux disciplines qui se construisent trop souvent sur l’idée abstraite plutôt que sur la variation concrète. J’ai aussi conscience de la difficulté, pour chacun, d’intégrer réellement de nouveaux principes ou habitudes, fussent-ils bienfaisants. Cet accompagnement par une discipline simple mais puissante me semble importante. En ce sens, Médecine chinoise et cuisine française n’est pas seulement un livre de diététique : c’est une belle éducation à la sensibilité.


J’y ai perçu un plaidoyer pour une responsabilité saine et bienveillante de chacun vis-à-vis de sa propre santé. J’ai particulièrement retenu le septième chapitre, où l’auteur revisite un principe millénaire en invitant le lecteur à renouer avec une intimité active avec son instinct. Loin d’opposer savoir et ressenti, il montre comment les grands principes (Yīnyáng, Cinq mouvements, etc.) peuvent nourrir une écoute intime et évolutive de soi, tout en redonnant confiance à l’individu dans ses goûts et ses besoins. Enfin, ce souci de mesure et d’autonomie s’incarne aussi dans la pédagogie de l’ouvrage : structuré en dix préceptes, le livre avance pas à pas, de façon claire et accessible. Chaque chapitre ne prescrit pas des règles, mais propose des points de repère, des exemples et des invitations à expérimenter. En ce sens, l’ouvrage ressemble davantage à un compagnon de route qu’à un manuel normatif. Et cette proximité pratique n’appauvrit en rien son contenu, bien au contraire. Elle conduit l’auteur à explorer une grande diversité de thèmes : biorythmes, psychologie, mastication, santé bucco-dentaire, hydratation, jeûne, entre autres.


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Le livre se lit rapidement, mais il est en réalité d’une grande richesse. Cette diversité reflète selon moi l’esprit même de l’holisme: permettre à une multitude de thèmes et de données de se relier dans une intelligence vivante, qui invite à rouvrir le livre pour y découvrir, à chaque lecture, de nouveaux angles de réflexion diététique. On sent que l’auteur a consciemment souhaité offrir cette possibilité de lecture multiple, ouverte et évolutive.


Vous insistez beaucoup, dans vos interventions comme dans le livre, sur la mesure, l’écoute de soi et l’adaptabilité. Est-ce pour vous le cœur de la diététique chinoise, ou bien une touche plus personnelle que vous y ajoutez ?
"La diététique chinoise, comme le médecine chinoise, s’est construite sur 3 piliers : bouddhiste, confucianiste et taoïste ; les deux premiers insistent sur les règles du juste milieu, de la modération, de la régularité…Le pilier taoïste met l’accent sur l’individu, le ressenti, le naturel, spontané (zìrán 自然).
Nous avons parfois trop de rigidité et d’obligations dans les règles, pas toujours justifiées, et pas assez d’écoute de soi… Il faut le Cœur pour savoir s’adapter naturellement et le Mental quand le Cœur n’est pas disponible… (Ou quand la société nous empêche d’être nous-mêmes !). 
Sūn Sīmiǎo 孫思邈, notre roi de la médecine, était l’exemple parfait de ce mélange de règles et d’adaptations : il a été le premier à différencier la diététique et la pharmacopée, il a dit qu’il fallait boire quand on avait soif et manger quand on avait faim…Il a dit qu’il ne fallait pas boire jusqu’à être trop ivre, mais qu’il fallait aller vomir si cela arrivait…
Je me reconnais humblement dans cette lignée… "

Cette écoute de soi, cette connaissance que vous semblez proposer au lecteur dans votre livre, m’a amené à me poser la question des relations entre l’alimentaire et l’identitaire : est-ce que, pour vous, l’alimentation peut être, à travers les sens, une manière de mieux se connaître et se reconnaître ? Est-ce que l’alimentaire peut devenir une voie méditative pour (re)trouver une forme de confiance en soi ?
"Oui, pour moi, l’alimentation est la racine de l’être humain et de la civilisation : seul l’humain cuisine !
Les multiples façons de s’alimenter montrent l’intelligence humaine, la capacité de s’adapter à un milieu, une nature, pour être en bonne santé et vivre le plus vieux possible. 
  • Notre alimentation reflète nos racines et nous permet de se reconnaître dans une société ; elle permet de s’identifier par rapport aux autres. 
C’est le côté « Yang » de l’alimentation.
  • Mais pour se connaître, il faut faire un travail personnel sur son ressenti, ses sensations au jour le jour, variables selon nos besoins physiques, notre constitution, notre mode de vie, et selon les saisons, le climat…
C’est le côté « Yin » de l’alimentation.
La santé physique et morale, la confiance en soi, c’est comprendre l’opposition et la complémentarité, l’alternance du Yin et du Yang. "


Perspectives & héritage


À la lecture de Médecine chinoise et cuisine française, on comprend vite que l’auteur ne cherche pas seulement à transmettre un savoir : il propose aussi une véritable mise à jour de perspectives méthodologiques anciennes.

Ce livre se situe à la croisée de plusieurs enjeux : préserver la richesse de la médecine chinoise, l’adapter aux contextes culturels occidentaux, et rendre cette discipline vivante, accessible et praticable par chacun. Dans un paysage français marqué par l’essor des discours nutritionnels, des régimes à la mode et d’une médicalisation croissante de l’alimentation, l’approche de Michel-Philippe Rastoul ouvre une voie singulière : plus sensible, plus souple, plus respectueuse de la diversité des êtres humains.

On peut y voir à la fois un modèle de transmission et un appel à l’évolution des mentalités. J’ai personnellement apprécié les nuances du livre : il ne fait pas de l’historicité de la Tradition Chinoise un argument d’autorité (sans l’ignorer pour autant), mais met surtout en avant son potentiel pratique au quotidien.


Que souhaiteriez-vous que vos lecteurs retiennent surtout de cet ouvrage ? Et comment voyez-vous l’avenir de la diététique chinoise en France, dans un contexte de plus en plus tourné vers la nutrition et le bien-être ?
"Je voudrais que les lecteurs retiennent qu’ils ont le droit de prendre soin de leur corps et de leur esprit, en s’adaptant à leurs racines et à leur Cœur, le plus possible.

Dans un monde de plus en plus complexe, la diététique chinoise en France doit faire prendre Conscience d’un équilibre possible et souhaitable : 
Entre la diététique occidentale, qui conseille une alimentation pour le plus grand nombre, basée sur des statistiques (Yang), 
Et une alimentation individuelle, personnalisée, basée sur son corps et son esprit (Yin), qui apportent une autonomie, une liberté et la paix."

"Il faut relier les êtres les uns avec les autres, et relier l’être avec lui-même."

Vous procurer le Livre de Michel- Philippe, vous inspirer de son expérience de la diététique


Notes: (1)Le terme chinois xīn (心) est souvent traduit par « cœur » ou « cœur-esprit ». En énergétique chinoise, il désigne à la fois l’organe cœur et le siège de l’animation vitale, des émotions et de la conscience : ce qui « anime la chair ». C’est pourquoi je choisis de le traduire par « âme-esprit » : le mot « âme » vient du latin anima, qui implique l’idée de souffle et de mouvement de la matière vivante, tandis que « esprit » renvoie à spiritus, le souffle vital qui relie corps et conscience. Ainsi compris, le xīn définit non seulement le fait d’être vivant, mais aussi la manière singulière dont chaque être vit : chacun possède son xīn, en fonction de sa nature et de ses caractéristiques de vie. Il apparaît alors comme une instance vivante qui confère unité, cohérence et style propre à l’existence humaine.


(2)Le terme holisme vient du grec holos, qui signifie « entier » ou « tout ». La médecine chinoise est profondément holiste : ses grands modèles — Yīnyáng, les Cinq mouvements (Wǔxíng), le rapport Ciel-Homme-Terre, ou encore les réseaux de méridiens (jīngluò) — sont chacun des visions globales et synthétiques du vivant. Ils ne s’excluent pas mais s’articulent pour former une approche où le tout n’est pas simplement la somme de ses parties : il crée une unité originale, vivante, dotée d’une identité propre. Dans Médecine chinoise et cuisine française, Michel-Philippe Rastoul illustre cet esprit holiste en reliant souplement une diversité de thèmes et d'éléments.


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