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Pratique au long cours - Quête de soi & dépassement / Décroissance vers le simple / Valence du Cercle.

Updated: Jul 30

— "Chroniques" du quotidien dans la Pratique. Trois thèmes, trois moments différents de ma vie et de celle de mes compagnons de route. Pourtant une seule voie.

Bonne lecture.


Dernièrement, un des pratiquants qui m'accompagne en Bāguàzhǎng m'a confié une expérience à la fois simple et profonde.

Il m'explique qu'il opère depuis quelques temps une forme d'introspection dans sa pratique personnelle où il choisit de sortir des rythmes, des formes et des phases d'échange de nos pratiques communes pour ralentir, adoucir, diminuer l’intensité pour dit-il, se retrouver lui-même. Il cherche à faire de ce qu'il a découvert (la marche, le souffle et les formes qu'il a mémorisé) un espace de résonance avec sa propre énergie, un temps pour se retrouver lui-même autrement.

Dans le même élan, il m’a renouvelé aussi son désir de pratiquer à mes côtés, de “vivre les choses autrement, de continuer à échanger”, dit-il, dans un autre cadre, une autre intensité, des nouveautés pour approfondir un lien.


En tant qu'accompagnant, je ne suis pas un "pousse à la pratique": je ne vais pas vous courir après pour savoir si le "participant au cours fait ceci ou cela". Je ne vais pas non plus vous demander une fois la pratique finie de faire ceci comme cela: peut être est ce une erreur, mais je considère que toute pratique individuelle étant relative à celui qui l'accomplit, c'est à chacun de découvrir dans ces moments sa manière d'explorer ce qu'il découvrir. Et de revenir avec ses questions s'il le souhaite.

C'est à chacun de se découvrir à travers cette voie intérieure.

Cela dit, l'expérience de cet homme est bien significative: elle illustre l'histoire d’un être en évolution, pris entre le besoin d’individuation (reconnaitre sa propre fréquence intérieure, trouver son chemin personnel) et le besoin d’élargissement, d’ouverture à ce qui dépasse "sa région du monde".


Le Dào vivant de la pratique


Me demandant mon avis, j'ai essayé de lui exprimer que le paradoxe n’est pas un obstacle : il est le cœur même de toute voie vivante.

À mes yeux, une pratique ( qu’elle soit corporelle, énergétique, sociale ou intérieure ) nous place toujours à l’articulation de deux voies:


  • Une voie de retour qui mène à se construire, à s’affirmer et s'explorer dans une singularité: à travers l'individuation, on contacte le Dào.

  • Une voie de l'aller qui cherche à être plus que soi par Autre: elle revient à s’effacer, à se fondre dans une dimension plus vaste, plus fluide, plus impersonnelle : celle qui à travers la dualité (et l'altérité) contacte le Dào.


Ces deux quêtes de vérités relatives, si elle sont sincères, conduisent paradoxalement… à autre chose que soi. Car plus on se relie à l'expérience par la conscience, plus on se vit traversé par quelque chose de plus grand.

Le Dào se laisse entrevoir par transparence dans la relation : non comme une projection, mais comme un centre vide qui tient tout ensemble. D'un côté il y a la voie qui mène à se reconnaître et opérer dans ce chemin un mouvement d'introspection. C'est il me semble l'essence de toute pratique personnelle. La reconnaissance de soi mène alors depuis les interstices de la recherche, à reconnaître un tiers opérant au milieu même de l'identité.


D'un autre côté il y a la voie qui cherche à être autre que soi, elle mène à a priori s’effacer, à se fondre dans une dimension impersonnelle. Une voie d'altérité (je ne parle pas uniquement de relations humaines), une voie du deux, de la solution. On quitte les repères (et les conforts) identitaires, pour entrer dans la communauté et l’interdépendance. C’est ici que l’on découvre le Dào comme relation, comme communion au monde, impermanence de l'identité incarnée.


Les deux directions sont potentielles, finalement unies dans la réalité: entre Tigre et Dragon, pourquoi séparer ?


Vers la simplicité


Ce double mouvement de la réception (de Autre) et du don (de soi) mène en tout cas, s'il est vécu sincèrement, vers une forme de simplicité immédiate.

Cette état de nature, le 48ᵉ chapitre du Dàodéjīng me semble le commenter de manière très pertinente. Je le lis ainsi:


為學日益 為道日損 損之又損 以至於無為 無為而無不為 Qui est en quête du Savoir voit son temps s’accroître. Qui est en quête du Dào voit son temps décroître. Il décroît et décroît… si bien qu’il en arrive à ne plus intervenir. Dans cette non-intervention, il n’est rien qui ne puisse être accompli. - Dàodéjīng道德經, 48, Livre de la Vertu

Une pratique peut se mener (consciemment ou pas) comme une recherche de possession dans le monde, une logique dans laquelle tout "s'accroît" : le pratiquant alors apprend, imite, et multiplie pour symboliquement "maintenir le Souffle dans sa main".

L'affirmation devient forte et les connaissances s'enchaînent pour prendre chaque jour plus de place, multipliant les "accroches". La densité augmente, les conflits généralement aussi.

Ce 48ème chapitre semble souligner le fait que cette logique du plein, cette "collection du monde" finit par se refermer sur elle-même.

À mesure que l’on accumule des formes, des techniques, des concepts, des méthodes.. dans cet état de l'âme, le lien vivant se perd.

Ce qui était quête devient dureté, et ce qui était présence devient alors contrôle.


Or le Dào ne semble pas se laisser pleinement saisir: au fond il ne s’apprend pas, il s’éprouve, se ressent.

Et il ne s’éprouve que dans l’espace laissé libre par le non-faire, dans les interstices de ce que l’on ne cherche plus à capter.


Le passage exprime cela avec une illustration simple :


Il décroît et décroît… jusqu’à ne plus intervenir.

Nous est proposé une décroissance, un retournement intérieur dans la logique du plein, issu d'une solution avec le monde et non d'une collection qui induit invariablement un conflit de forces.

On passe alors d’une logique de captation à une logique d’écoute. De l’ajout au retrait. De l’intention pleine au vide de la présence constante.

La pratique cesse d’être un outil d'affirmation dure sur le monde: elle devient plutôt un lieu d’accord subtil.


Synthèse pour Univers


Dans la pratique générale, je n'aime pas l'idée d'opposer la voie du Savoir et celle de l'Être. Cela dit, une fois ce souhait formulé, je mesure bien que l'équilibre n'est pas bien facile à intégrer et conserver.


Peut-on vraiment cela dit opposer savoir et vide ?

Peut-on réduire la connaissance à une simple logique d’accumulation ?

Il me semble que le Dàodéjīng, s’il met en garde contre le trop-plein, ne rejette pas le savoir: il en redirige plutôt l’usage.


Pour moi il existe un savoir qui nourrit le réflexe de contrôle, mais aussi un savoir qui conduit paradoxalement à l’abandon.

Un savoir qui cherche à posséder, un autre qui s’incline humblement devant ce qui le dépasse.


Ce qu'expriment les paroles du Lǎozǐ 老子 dans ce chapitre, je ne le vois pas comme une condamnation du savoir en soi, mais un rappel, une invitation à ce que le savoir s’ordonne et se réfère au vide.

Un savoir humble, qui prépare la forme pour que le souffle circule.

Un savoir comme émergence du non-faire, un sol qui fertilise le lâcher-prise.


Et réciproquement, le vide sert le savoir : il en révèle les limites, le relativise depuis l’intérieur et finalement lui donne toute sa puissance évocatrice.

Je perçois bien que sans le silence du cœur, toute connaissance devient bruit. Mais sans la clarté de l’esprit, le vide devient confusion.


C’est pourquoi l’ensemble du Dàodéjīng (bien plus que ce seul chapitre 48 ) propose un équilibre, une tension vivante entre une connaissance structurelle et un non-savoir potentiel et fertile.

Il ne s’agit pas de choisir, mais de danser entre les formes. Laisser le savoir se déposer dans le vide, et le vide nourrir l’intelligence du vivant.


Ce que le chapitre 48 du Dàodéjīng esquisse à travers le contraste entre Savoir qui accroît et Vide qui approfondit: je le prends avec moi non comme une opposition brute, mais comme un balancier vivant, une tension féconde entre deux pôles de l’expérience traditionnelle :


• d’un côté, la gnose : une connaissance intérieure, affinée, lucide, précise. Connaissance qui structure, éclaire, et permet le Langage donnant une forme relative au monde.


• de l’autre, le mysticisme : une plongée dans l’indifférencié, l’ouverture pure, le Silence qui précède toute forme : zone dépassant l'intervention et la pensée.



Ces deux voies, souvent tenues pour séparées voire exclusives, ne s’opposent pas à mes yeux.

Elles se nourrissent l’une l’autre, si l’on ne les fige pas.

Le savoir peut mener au silence, lorsqu’il n’est plus orienté vers le contrôle mais vers la clarté.

Le vide peut mener à la connaissance, lorsque l’expérience directe révèle l’ordre caché du réel.


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Si cette exploration va jusqu’au bout de son équilibre, elle mènerait vers une qualité d'expérience assez différente : une forme d'arrêt de "l'entreprise".

Non pas une inertie, une passivité ou une inaction: mais une forme d'ajustement global et régulier à ce qui est. Pourrait-on dire une "non- intervention" (wúwéi 無為).


Si on en revient au Bāguàzhǎng: il semble être un moment où la marche devient alors un cercle sans effort: le corps s’accorde à l’espace et l’intention dure se dissout dans le souffle. Ce n’est alors plus “moi” qui agit, mais presque le flux qui semble agir à travers moi.


Je me dis que ce que nous étudiants, cherchons souvent sans le savoir, n’est pas absolument et uniquement nous-même: c’est directement ou indirectement, un point d’accord entre le Soi et le monde.

Une justesse qui n’appartient plus à la seule identité mais à la présence ajustée. Et dans cette zone de passage entre quête de soi et dépassement du soi, quelque chose s’accomplit sans effort, dans un réconciliation entre Moi et Autre.


Le Dào du Bāguàzhǎng résonne avec le "Grand Dào": il va au delà de la méthode, pour aborder ce qui est Mouvant.

Il devient progressivement, au delà de la tension entre moi et le monde, une simple écoute et un silence dans l'action.


Silence & Unité
Silence & Unité

Le cercle comme espace de transformation


Si le Dào se manifeste dans la pratique du Bāguàzhǎng, le cercle en est l’un de ses grands vecteurs.

Cette voie en fait un de ses axes : marcher en cercle, tourner, pivoter autour d’un centre.

Le cercle s'inscrit comme un espace symbolique et énergétique fondamental, à la fois chemin et contenant.


Un espace psychologique


Le cercle abolit les lignes droites, les finalités, les objectifs extérieurs.

On ne “va” nulle part et pourtant on se transforme.


Chaque pas ramène vers un point de départ, mais alors par le biais de l'évolution, ce n’est plus le même soi qui l’occupe. Dans cette répétition modifiée par chaque révolution, le mental lâche ses attentes, ses stratégies. Il est mené à se déposer.


La marche circulaire devient alors un miroir : par un jeu de contrastes on y perçoit son agitation, ses tensions, ses tentatives de contrôle. Puis peu à peu, on y rencontre une sorte de vide.

C’est dans ce vide que peut se loger l’émergence d’un soi plus vaste, moins contraint par une tension forte.


Un espace énergétique


Le Bāguàzhǎng est une alchimie du mouvement.

La marche circulaire met en jeu des forces spirales qui font circuler le Souffle-énergie de manière continue. On ne coupe pas, on relie. On ne force pas, on s’enroule et on se déroule.


Le cercle impose une harmonisation entre l’intérieur et l’extérieur : Le centre du cercle résonne avec l’axe interne du pratiquant. Le mouvement orbital invite à équilibrer poids, souffle et intention.

Le cercle devient ainsi un générateur de présence fluide: il nettoie les stagnations, il affine la perception et tend à unifier le corps et l’esprit.


S'inscrit dans cette démarche une manifestation du wúwéi 無為 : le cercle fait le travail, à condition de s’y abandonner avec justesse.


La figure cosmique


Dans les traditions philosophiques, le cercle évoque l’unité mouvante du Ciel, la rotation des astres, le cycle des événements, la transition à travers l'infini de la création.


Marcher en cercle peut être une méditation permettant de vivre plus consciemment le rythme du monde.

Chaque pas devient un acte de synchronisation avec le souffle environnant, non pas pour le diriger mais pour s’y référer en synergie.


À un moment donné, le mot même du style ou de la méthode s'efface derrière le geste : on ne "fait plus du Bāguà": par sa méditation on devient organe de mouvement.


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Liberté et Unité


Le cercle dans le Bāguàzhǎng n’est ni une forme, ni une contrainte: à mes yeux c'est une "porte".

Vers un enseignement profond et immédiat de la valence du vide dans ce monde, une voie de simplicité qui passe par une forme de raffinement en creux.


Il permet d'éprouver en soi le trop-plein individuel, d’épurer les mouvements de l’énergie dans l'évolution, et de contacter dans la méditation à une forme impersonnelle du vivant.


Ainsi, ce que dit le Dàodéjīng prend une fois encore tout son sens par la circulation, le geste, le mouvement du pratiquant :


Il décroît et décroît… si bien qu’il en arrive à ne plus intervenir. Dans cette non-intervention, il n’est rien qui ne puisse être accompli.



Si ces réflexions vous inspirent, que pratiquer vous intéresse:

Atelier de Yǎngshēng - Energétique Circulaire & Continuum
24 octobre 2025 à 09:30 – 26 octobre 2025 à 16:00Saint-Jean-d'Avelanne
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2 Comments


Salut Lionel, le début de l'article concernant l'Aller et le Retour dans la pratique ont nourri en moi des réflexions sur ces deux mouvements si intimement liés. Pour que l'Aller se fasse il faut reconnaître l'Autre comme différent de soi, et donc créer une séparation. Et de l'autre côté pour qu'un retour à soi s'effectue il faut se relier, s'unir. Le Dragon est possible grâce au Tigre et inversement comme dans une sorte de danse. On retrouve la logique yin/yang mais dans un éclairage "original" j'ai presque envie de dire ou d'écrire plutôt. Merci pour tes réflexions qui ouvre des nuances dans les chemins de la Conscience de Soi.

Adrien

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Merci Adrien pour ton retour, il éclaire avec justesse le texte et en prolonge le sens.


Tu as bien saisi que l’Aller et le Retour ne sont pas deux opposés figés mais une dynamique vivante. Pour aller encore plus loin, je dirais que dans une Transmission , il ne s’agit pas tant de séparation et d’union que d’un mouvement ondulatoire : un va-et-vient d’éloignement et de rapprochement.


Cette variation crée une onde, un rythme commun où chaque pôle garde sa valeur propre. C’est dans ce jeu respectueux qu’apparaît un pivot fécond : l’axe subtil autour duquel les deux se rencontrent. ☯️


Ce pivot résonne ensuite dans l’intériorité de chacun : il invite à tourner, à se retourner, à découvrir au…


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