Pratique au long Cours - Méditation, Méditant, Lieu de Pratique.
- Lionel Silberman

- May 15
- 7 min read
Updated: May 17
Une des raisons pour lesquelles j'écris sur la pratique quotidienne: cela me permet de communiquer à mes compagnons de pratique ce que je ne peux pas décrire lors des séances.
Les mardi soir sont méditatifs à St Jean d'Avelanne, au sein du Jyūkan dōjo. Dernièrement, une pratiquante (déjà venue pour le Qìgōng et le Nèigōng) est venue rejoindre le très petit groupe de pratiquants en Zuòwàng.
Suite à son expérience, nous avons pu échanger par message sur ce moment et ce qu'elle y a vécu, ce qui m'a donné l'occasion de répondre plus en détails. Avec sa permission (merci à elle, je vous salue 🙂🙏🏻): voici les débuts de cette discussion.
Bonne lecture !
Bonjour Lionel, J'ai été agréablement surprise de réussir à lâcher prise pendant la méditation
C’est une joie de savoir que cette première expérience ici vous aide à "passer une étape" dans votre pratique personnelle. C'est un honneur de savoir que notre lieu a pu vous aider pour ce moment :) À votre message, je me rappelle combien le lâcher-prise est un état assez difficile à vivre pour nous tous. Combien la détente consciente est fragile. Notre relation à cette profondeur n’est pas une évidence à coup sûr. Je mesure cela depuis des années personnellement et avec d'autres dans la pratique. Se confronter au vide que représente un silence... cela révèle facilement un peu tous les “bruits” en nous, murmures comme parfois cacophonies.
C'est peut-être la proposition principale d'une méditation: créer un écho, opérer un contraste suffisamment clair pour ouvrir une perspective sur l’intérieur. Proposer ce retour à soi.
Après, une fois le constat des bruits vécus, après avoir perçu la diversité.... vient à savoir ce que l’on "fait" de cette immensité.
Il y a un poème court japonais, que je trouve magnifique à ce sujet, pour sa beauté comme pour sa dualité. Il évoque au moins deux manières d'accueillir le silence:
閑かさや, 岩にしみ入る, 蝉の声 Shizukasa ya, Iwa ni shimiiru, Semi no koe “Silence profond: Le chant des cigales S’infiltre à travers le rocher.”
-Matsuo Bashô (1644-1694)
Quand le silence devient profond, tout peut devenir excessif et insupportable: le moindre bruit au dehors, le moindre murmure au dedans, le chant des cigales au loin. Le moindre événement peut s'infiltrer à travers le rocher de notre effort… Pourtant, le “bruit” au dehors fait partie du Tout et s'insère en soi, comme un témoin de la constante unité du monde. Témoin du Changement constant, de l'évolution qui s'opère. Faut-il alors repousser les événements, faut-il d’emblée s'efforcer pour trouver la paix?
Ou bien peut-être laisser s’inflitrer le chant des cigales, laisser résonner tout le chant du monde autour de nous? En nous également. Laisser passer, laisser vibrer. Laisser vivre simplement.

Peut être qu’il est dans l’ordre naturel des choses que tout résonne sans pour autant nous submerger: il existe peut-être un point d’équilibre qui ne refuse ni la résonance (les cigales) ni la structure (le rocher).
J'ai eu un peu plus de mal pendant les étirements où j'essayais de réfléchir aux postures
Il y a souvent un contraste entre une pratique méditative “d’apparence immobile” et une pratique méditative “d’apparence dynamique”. Durant les sessions du Mardi, nous expérimentons ces deux "manières", proches mais différentes: un moment de méditation posturale plutôt active qui consiste en une séquence de postures au poids de corps et d'étirements. Passage plutot dynamique (dònggōng 動功) Ensuite vient une séquence bien plus immobile de méditation (jìnggōng 静功), assise ou allongée (selon les envies). Les deux expériences n’offrent généralement pas la même expérience de soi. Si l'une est plus active que l'autre, les deux sont une recherche de retour vers un espace intérieur.

Pour certains, l’immobile est le lieu de difficulté et il est très difficile d’y entrer. Pour d’autres c’est le mouvement qui est l’espace où l’on se décentre. Pour d’autres encore il y a une "oscillation" qui fait que le mouvement comme l’immobile ne sont pas confortables. Nous varions souvent entre ces trois états: chacun d'eux nous apprend sur nous même et sur notre manière d’interagir avec les événements.
Le mouvement peut être cette phase où notre activité mentale s'élève en même temps que la dynamique du corps et le défilement des postures: surgissent alors toutes nos “habitudes" d'agir dans l'action, de répondre à une situation donnée: c'est un bon révélateur de leurs effets en nous et dans nos relations à Autre ("animé" comme "inanimé").
Le mouvement nous propose sans aucun doute sa philosophie.
Par exemple: Faut-il réfléchir aux postures ou les ressentir? Faut-il y accorder des pensées durant la pratique ou faut-il les laisser nous guider sans trop conceptualiser? Chaque séance doit elle être conforme absolument? Chaque posture doit elle correspondre à ce que l’on attend ou voit?

Notre pratique nous permettra d’en savoir plus sur une certaine fluidité d’être, propre à notre rythme et identité, qui correspond à un corps (et un être) fluide et continuel ( yóushēn 游身).
Pendant la méditation mon mental a presque réussi à se mettre en pause ! Je pense que le lieu est propice à cela car je n'avais jamais vraiment réussi auparavant. Le lieu et l'ambiance de ce petit groupe m'ont permis d'être en confiance et je me suis sentie en sécurité, sans peur d'être jugée.
Merci à vous pour votre confiance qui est votre apport dans cet événement, sans lequel il n’est pas possible de vivre cela. Merci à vous. Je trouve votre témoignage intéressant. Il me semble qu’il évoque en substance un aspect fondamental du dojo: c'est il me semble un lieu où se relativise le jugement. Un espace où l’on estime, un espace où l’on s’estime, un espace où l’on recherche et où on s’adapte, mais pas un endroit où l’on catégorise définitivement. Un lieu où se réduisent les tensions causées par un "enfermement par le point de vue".
Cela sert l'inspiration, et ce n'est pas parfait (tout le monde "juge"). Je ne crois de toute manière pas à la perfection.
Cela dit il me semble que l’essence du dôjo consiste en cette Recherche, en ce thème: celui de favoriser une évolution et donc de renforcer les attitudes fluides qui créent le moins d”arrêt” de l'esprit, de “coup d’arrêt” dans la manière de déterminer et donc le moins de contraintes dans notre chemin de vie.
Le dōjo est un espace qui confère à la liberté relative, cela j'ai pu l'observer.
Au-delà d’être un bâtiment, le dōjo est un état d’esprit, une forme de “pivot transformateur" aussi bien pratique que philosophique.
J'ai été très fatiguée après la séance, cela m'a permis une bonne nuit de sommeil calme et réparateur 😊.
L’un des effets notoires de la méditation.. je ne compte plus le nombre de fois où je me suis endormi durant ou rapidement après 😄. Cela semble vous avoir détendu et a complémenté votre sommeil, c'est très bien: la combinaison de la souplesse, du souffle et du silence résonnent bien avec notre vitalité.
Je pense que le sommeil durant ou suite à la pratique peut être une des manifestations premières de la perception intérieure: la sensation depuis le corps d’un grand et profond repos. La libération d'une fatigue cachée dans les interstices, d'une nervosité intégrée qui empêchent le sommeil et entravent la journée. Tout cela provient avec un contact, une communication. Ces phénomènes nous parlent souvent dans un "murmure": la méditation peut agir comme un révélateur de ces besoins, inaudibles parfois dans le bruit du quotidien.
La fatigue interroge l'esprit d'où qu'elle vienne: d'où provient elle? Est-ce la méditation qui la crée? Se révèle-t-elle à vous dans le lâcher prise? Quelle est son histoire? Je remarque que l'on répond progressivement à ces questions et au fur et à mesure, elle tend s'atténuer.
J'ai un peu perdu la notion du temps en sortant. Avec le recul j'ai vécu ce temps comme une parenthèse de paix au milieu de mon quotidien beaucoup trop chargé.
Méditer propose assez souvent une perception moins habituelle du temps.
Elle nous permet souvent de nous rappeler que le temps est une relation.
Nous le savons désormais sur le plan physique: l’espace et le temps sont liés et selon nos physiciens ils dépendent d’un référentiel pour être mesurés (mesurés ici par nos organes des sens).
Durant la méditation, la relation au temps change car le référentiel change: nous changeons. Il se peut que le temps s’apaise et semble comme suspendu. Je vous propose d’expérimenter combien ces moments sont à l’origine d’une grand regain d’attention/ concentration et énergie.
La profondeur de l’être est immense et le temps qui l’accompagne également.
La Relation de l’Être au Temps est une grande source d’inspiration quotidienne, du moins c’est mon expérience.
Il m'arrive depuis la séance de fermer les yeux et d'essayer de me replonger dans l'ambiance du dojo avec ses bougies et ce calme... Mais toute seule je n'arrive pas à reproduire cet état d'esprit.
Votre témoignage permet d'aborder une définition profonde du dojo, je vous en remercie. Le dojo est un lieu de résonance (gānyìn 乾印)

Ce lieu résonne en nous à travers au moins trois aspects: - il nous révèle une voie d'évolution à travers la révélation de ce qui est possible (ici vous, apaisée et détendue, dépassant la difficulté de synergie avec vous même) - il nous inspire sur nos nécessités pour y parvenir (ici le calme et une ambiance sécurisante, l'absence du jugement) - il révèle enfin nos actuelles difficultés (en dehors c'est plus difficile).

Le dōjo opère comme un miroir: il nous ramène à chaque fois vers une reconnaissance de notre actuel. Par là, il entre dans une démarche d'humilité: à savoir se rapprocher au mieux de savoir ce que l'on peut et ne peut pas faire. Et continuer..
Vous évoquez l’inspiration que vous apporte l'endroit. vous semblez le prendre comme référent à votre pratique, etc'est une grande joie. Emmener "l'esprit du dōjo" avec vous, l’installer ailleurs, chez vous est une belle chose. Merci à vous de faire de cet espace une source de transmission: j'espère qu’il vous aidera à trouver votre dojo personnel. Rappelons nous: pour avoir vu de la sérénité dans ce lieu, c'est qu'il y a un serein pour observer. Pour avoir vu de la sécurité en un lieu, c'est qu'il y a un espace sécurisant en vous. Si vous avez vu un espace sans jugement ici, c'est qu'il y a en vous un être qui ne se limite pas. Evidemment, la pratique individuelle n’est pas simple: mais les difficultés sont autant des repères que les facilités. Prenons notre temps: le temps me semble le meilleur professeur au monde. Instaurer votre pratique personnelle est l'aspect le plus essentiel, bien plus que le dōjo lui-même: on peut dire que l'instauration d'une pratique personnelle équivaut à l'installation d'un dōjo en soi.
Tout est votre au fond, tout dépend de vous: je vous propose d’y apporter toute votre musique avec bonté ☯️




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